Cet article de Thérèse Mema Mapenzi partage leur témoignage sur le travail d’assistante psycho sociale et propose des pistes de solution pour la réparation psycho social des survivants des conflits armés en RDC.
O. Introduction
Cet article est une synthèse de notre livre que nous souhaiterions publier bientôt. C’est une joie de partager l’expérience de notre travail d’Assistante Psychologique et Sociale au sein de l’Église Catholique de Bukavu
Les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes, sont devenues ‘’une réalité quotidienne à notre siècle’’. Que ce soit le sexisme, le harcèlement sexuel, l’exhibition sexuelle, le chantage, le harcèlement verbal et non verbal, les violences physiques, ou harcèlement physique, ou encore le viol tout court ; cette réalité est indéniable. Dans ce contexte tragique, il n’en demeure pas moins que le reste du monde en soit aussi victime mais à des diverses façons et à des proportions variables.
Chaque jour, que ce soit à la maison, au travail ou dans la rue, des femmes en paient le prix. Ces violences ont des conséquences graves : elles minent la confiance – créent l’indifférence – et limitent la liberté par la peur qu’elles instaurent. Elles constituent une atteinte aux droits et à la dignité des personnes et consolident la domination masculine. Ces violences sexuelles n’apparaissent pas spontanément, encore moins gratuitement. Elles transmettent un message et véhiculent une idéologie tendant à dénaturer la femme[1]. Elles ne font pas non plus partie de la « nature humaine » ou de la « nature masculine ». Elles ont des causes sociales – culturelles- pratiques coutumières- impunité des agresseurs – idées reçues sur la sexualité [2]ou alors sur la femme tout simplement.
D’emblée, nous reconnaissons que tout le monde n’est pas logé dans la même enseigne ; chaque pays a ses réalités. Cependant, force est de constater que chez nous la question relative aux violations des droits humains attire notre attention particulière du fait de l’ampleur des dégâts enregistrés çà et là. Loin de vouloir exagérer mais, les violations des droits humains et plus particulièrement les violences basées sur le genre dont sont victimes plusieurs femmes tiennent lieu de penser à une féminicide[3].
Sans même extrapoler, dans la partie est du pays, notamment les Provinces du Kivu, cette situation a atteint son paroxysme. Il nous paraitrait difficile voire impossible de passer un jour sans attendre des cas de déshumanisations des femmes, des pratiques cruelles et dégradantes dont sont victimes certaines femmes. Mais ce qui étonne c’est la méfiance qu’on aperçoit à plusieurs niveaux. Nous pourrions avoir tort mais face à la montée de la violence, nous sommes obligés de nous exprimer pour tenter de sauver ce qui peut l’être.
De ce fait, il se dégage une sorte d’obstination culturelle vis-à-vis de la femme dont le sort est caricaturé sur base des violences qu’elle subit au quotidien. Un phénomène ou une hallucination ; une étrangeté ou une dérive ? Le féminicide est bien présent dans notre société. La femme Congolaise en général et celle vivant à l’Est subit la loi de la jungle sur fond d’animosité ou de bestialité incroyable. Ce type de féminicide passe souvent de l’individuel au collectif. Les crimes sont commis parfois par des individus mais dans d’autres cas par des groupes des individus que ce soit par les groupes armés ou par les membres des communautés. Les victimes sont aussi individuelles mais aussi collectives.
Tout au long de cet article, nous voulons partager notre expérience de travail d’assistante psycho sociale et de Directrice du Centre Olame en partageant les cas de certaines femmes et jeunes filles que nous avions écoutées, mais également de quelques hommes qui sont tombés victimes de ces pratiques et dont les cicatrices ont du mal à pouvoir se refermer en dépit des efforts d’assistance multiforme et qui deviennent tout au long de la vie très douloureuses que les plaies.
Bien sûr que les acteurs de tout bord s’engagent dans la réparation et la restauration des victimes ou survivantes des crimes de viol. Mais malheureusement les victimes et survivants.es trainent à voir la cicatrisation intégrale de leurs plaies ainsi que la guérison et la réparation complète dont elles/ils ont besoin. S’agit-il d’une inefficacité des actions menées en leur faveur ? La cicatrisation effective des plaies est-elle possible ?
Cette double question – qui n’en est pas une – fait partie des préoccupations clés des humanitaires, des professionnels de santé, des activistes des droits humains, des chercheurs en matière des violences faites à la femme et même de celles du prix Nobel de la paix 2018 en RDC, en la personne du Dr Denis Mukwege ainsi que de nous-même travaillant comme survivantes directes et indirectes de ces atrocités.
Cet article est donc d’une actualité brûlante, il propose une réflexion fondamentale pour nourrir les débats qui parcourent notre société actuelle qui doit trouver la solution sur la problématique de la réinsertion efficace des victimes de violences sexuelles dont les plaies font encore mal. Il s’inscrit par ailleurs dans la logique d’une proposition des certaines solutions durable pour que toutes les victimes retrouvent une réparation – à la taille des préjudices subis – afin que leurs mémoires soient à jamais honorées.
1. Les Plaies de la violence
Nous allons évoquer certaines histoires exténuantes de notre expérience vécue mais aussi de nos écoutés de nos activités de counseling individuel et des groupes que nous avions accompagné. Nous voulons rentrer dans la profondeur du mal et en dénoncer les cas de la barbarie humaine contre spécifiquement les femmes. C’est d’ailleurs le premier remède face à l’indifférence.
Des femmes prises en otage par les images du passé : Cas de Mme NTAKWINJA[4]
Madame NTAKWINJA a perdu tragiquement son mari Joseph en 2003 après être tombé dans une embuscade des FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda) pendant qu’il se rendait à SHABUNDA, territoire voisin pour son commerce pour la survie de sa famille. Donc elle n’a ni vu ni pleuré son cher époux qui lui laissait du coup la charge de trois orphelins.
Après le décès de son mari, sa belle-famille lui a maltraité et fait subir toutes les formes de violences domestiques perpétrées par les beaux-frères, les belles sœurs et même les beaux-parents : injures publiques, dénigrement, privation de terres, expulsion de la maison, l’accusé de sorcière. Selon la culture, la femme n’a pas droit d’hériter les biens de son mari. Surtout quand il n’y a pas de testament. C’est la belle famille qui décide. Mme Ntakwinja a donc décidé de retourner dans sa propre famille deux ans plus tard. Malheureusement l’a aussi ses frères ne lui ont pas supporté, elle était vu comme une menace qui vient profiter de leurs biens : Exploitation des champs, utilisation des certaines pièces de la maison.
Elle a donc décidé de se remarier après trois ans… Alors qu’elle commençait à bien s’entendre avec son nouveau mari, en 2007, les rebelles de FDLR sont venus dans son village, ont pillé tous les biens et ont fusillé son mari. Voulant pleurer son mari, elle s’est vu prise par un rebelle et qui a commencé à la violé horriblement à côté de son mari gisant sur terre… Elle nous a confié, bien sûr que les années sont passées, j’ai été soigné mais chaque fois que je me rappelle de la mort de mon mari, je continue à revivre la violence comme si c’était hier. Les images de ces assaillants ne me sont jamais quittées, la douleur reste énorme.
Le malheur d’avoir un enfant issu du viol : Mme VUMILIA[5]
Elle est née à KAHUNGU/KATANA, en territoire de KABARE, toujours au SUD-KIVU en RDC. En février 2014 pendant qu’elle se préparait à se coucher, les Interahamwe ont fait irruption dans leur parcelle. Ils avaient cassé la porte à l’aide d’une hache et trois assaillants ont pénétré la maison en l’absence des autres enfants qui sécurisaient les alentours. Son mari a quand même eu le temps de se sauver par une petite ouverture de la maison.
Comme partout, les assaillants ont d’abord pillé tout ce qu’ils voulaient dans la maison ; puis ils l’ont obligée de sortir et de transporter leur butin. Arrivée dehors, elle remarqua d’autres otages sur sa cour : 4 filles et 3 femmes du même village dont Annunciata, M’NDAKU[6], M’NYAKALUZI et Charlotte M’LUJUCI. Ensemble, elles ont marché quatre jours durant avant d’atteindre le camp des assaillants en plein milieu de la forêt.
Après une semaine et contre toute attente, les assaillants ont librement décidé de relâcher les otages parce qu’ils devaient continuer leur voyage en profondeur de la forêt. Ces femmes ont de nouveau marché pendant quatre jours pour rejoindre le village. Malgré tout, VUMILIA et ses compagnons ont le courage de continuer jusque dans leurs familles avec espoir que ça sera une joie de se revoir vivant malgré les viols dont elles ont subi.
Malheureusement pour Vumilia, lorsque son mari arriva au lieu de l’accueillir, il commença à se fâcher. Depuis lors, chaque jour était pénible pour elle. Un mois après, VUMILIA ne tarda pas à remarquer une grossesse. En tout cas son mari n’a jamais voulu entendre parler de cette grossesse, encore moins, de l’enfant qui en sortirait. Elle accoucha d’un garçon qu’elle nomma STEEVE. Chaque jour le mari de VUMILIA battait le petit Steeve avant de décider d’abandonner sa mère.
Actuellement Steeve a 10 ans et ne fréquente pas l’école. Il porte sur sa tête une cicatrice des tortures et autres traitements cruels que lui infligeait le mari de sa mère en le traitant d’Interahamwe, les noms qu’on utilise pour appeler les rebelles FDLR dans les milieux. Et Steeve est conscient qu’il est Interahamwe, car d’autres enfants du village l’appellent ainsi…
La guerre m’a rendu vulnérable à vie : Cas de Oswald[7],
Oswald était un homme riche dans son village, à KAYANJA. Il avait des vaches, des moulins et des champs très fertiles. Un jour les assaillants sont venus, ils ont pillé toutes ses vaches et lui ont logé des balles dans les genoux. Regardez, dit-il, je suis devenu handicapé, extrêmement pauvre. J’aurais bien voulu reprendre une nouvelle vie, mais je ne peux plus rien faire. J’ai dû payer seul mes soins médicaux, j’ai même manqué la possibilité de me payer des béquilles pour tenter de marcher. Maintenant je suis très pauvre du village (…), pourquoi moi ? a-t-il conclu sa phrase.
L’injustice crie justice : cas de Mme CIBALONZA[8]
Je vivais paisiblement à Goma, Nord-Kivu avec mon mari. Nous avions décidé d’aller au village montrer les enfants à nos parents, comme de coutume dans nos villages. Nous avions décidé d’aller à KABAMBA (en province du Sud-Kivu) dans notre village afin d’accomplir ce devoir culturelle montrer nos quatre enfants à nos parents.
Deux nuits après, les rebelles sont venus dans notre maison, ils ont pris tout l’argent ainsi que tous les biens, et puis ils ont tiré sur mon mari qui voulait s’interposer et faire la défensive lorsqu’ils voulaient me violer. Ils m’ont violée devant le corps inerte de mon mari qui gisait …
Grâce aux animatrices des Maison de Conseil, j’ai eu la chance d’aller aux soins à l’hôpital de Panzi mais malheureusement c’était tard. On m’apprendra que j’avais le VIH/SIDA. Quel malheur ? Quelle douleur de l’apprendre ? Je ne supporte pas seulement les douleurs de la maladie mais aussi de la stigmatisation de chaque jour. Je suis abandonnée par ma belle-famille et par les gens de mon village qui pensent que le SIDA peut se transmettre même à travers la salutation et le sourire qu’ils peuvent m’offrir. Qu’est-ce que c’est dur et effrayant !
Le grand malheur c’est également de voir et entendre que ces rebelles sont encore libres dans la forêt et violent toujours d’autres femmes et jeunes filles. Nos vies sont sacrifiées et tout le monde nous regarde avec un air de pitié, de compassion sans réellement compatir avec notre vrai malheur.
Une enfance volée et violée laissant des cicatrices : cas de Mme Thérèse
Alors que je n’avais que 9 ans, un fiancé de ma grande sœur cousine qui vivait avec nous m’a violé. Il a insisté que je ne le dise à personne en insistant qu’il me tuerait au cas où il entendait un seul mot. Ma grande sœur cousine qui aussi restait tremblante avec la peur de la punition des parents mais aussi de perdre son fiancé, a dû cacher la nouvelle à ma mère. Le soir, alors que j’étais très calme et étrange, le monsieur est revenu, a obligé ma grande sœur cousine à m’appeler. Il m’a encore intimidé fortement avec le couteau, et du coup, ma mère qui était aux alentour a entendu les discussions mais malheureusement cet homme m’a fortement frappé devant ma mère lui disant qu’il m’a surpris en train de me méconduire avec les garçons…Dans sa naïveté, ma mère l’a cru et m’a aussi frappé, j’ai donc compris que j’étais vraiment responsable et coupable de ce qui m’était arrivé. S’en est suivi des cas de maltraitance, des punitions corporelles dont je ne connaissais même pas la raison, des stigmatisations à l’école ce qui ont conduit à l’isolement (…). Au fur à mesure que je grandissais, je rencontrais plusieurs autres cas de harcèlement à l’école, sur la route, à l’hôpital et plusieurs fois je devais me protéger pour ne pas être abusé. A l’âge adulte, où il fallait se préparer au mariage, j’apprenais petit à petit qu’une bonne femme devrait être vierge, et moi je comprenais que j’étais la honte, j’avais perdu ma dignité… (plus tard dans la vie des questions sur es-tu encore vierge ? Et quand je disais que non, je ne l’étais plus, certains de mes camarades me regardaient étant étonné… j’étais la honte même…je devais expliquer comment je l’ai perdu et je me rappelais mon enfance volée.
Les présents témoignages sont des expériences réelles des survivants.es de ces violences sexuelles et violations des droits délibérément utilisées comme arme de guerre pour tuer, humilier toute une génération d’hommes et des femmes à l’Est de la R.D. Congo. Le monde entier doit savoir que ce n’est pas une scène de théâtre ; ce n’est pas non plus un film-fiction ou une imagination, c’est une réalité qui laisse des cicatrices douloureuses.
Et en plus des conflits armés, les filles et les femmes souffrent aussi énormément des violences culturelles. Au cours de ces dernières années, les travailleurs humanitaires et autres observateurs ont qualifié le Congo de « pire endroit pour être un enfant » ou de « pire endroit au monde pour être une femme ».[9] Il y a des victimes connues et méconnues, mortes, qui suscitent pitié et compassion et se demandent pourquoi et jusqu’à quand durera ce malheur ?
2. A qui profitent ces crimes? Les agresseurs d’hier, des dirigents aujourd’hui
Les crimes profiteraient à ceux qui sont à la manœuvre et qui alimenteraient ces conflits à leurs propres intérêts. Les acteurs actifs et passifs – aussi bien en interne qu’à l’international – certains Etats, mal intentionnés et leurs maîtres à penser, étaient ou alors sont tous conviés à ce jeu dont eux-mêmes connaissaient (ou connaissent encore) la règle et, au final, ils sont tombés (tombent) victorieux à travers la coupe qu’ils ont soulevée (ou qu’ils soulèvent encore). Les forces du mal continuent à atteiindre leur objectif avec la main noire des puissances locaux et étrangers[10]. En s’en prenant aux femmes, il est clair que c’est l’épicentre même de la famille qui est pris en otage.
En évoquant les origines immédiates de violences sexuelles, ça vaut le coup de présenter – un travail digne de foi sur la réparation des préjudices causés par toutes ces bandes armés et non armés et subis par ces femmes dont le destin aurait été dévié à la suite de cette animosité.
Nous n’oublions pas aussi de dénoncer les cas des pratiques culturelles et aussi des habitudes que nous observons dans certaines structures. Église, écoles, familles, travail… les femmes et les enfants subissent des violences[11] qui restent sous silence et les auteurs sont toujours libres voir même protégés. Nous pouvons par exemple parler des violences en milieux scolaires où nous observons dans plusieurs établissements d’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST) des cas avérés de viols et violences basées sur le genre et celles sexuelles dont sont victimes les enfants (filles et garçons) commis par leurs « éducateurs » et qui restent impunis du fait que ces victimes, le plus souvent n’ont pas le courage de dénoncer leur maltraitance. Il en est de même pour les cas des enfants et des femmes abusés et exploitées par certains leaders religieux et dont les crimes restent sous silence absolu.
Les pareils actes ont un impact psychologique dommageable car non seulement ils conduisent à l’échec scolaire et au déséquilibre d’adaptation de l’enfant mais aussi menacent la cohésion sociale au sein des établissements et des communautés. C’est par expérience et expertise en effet que nous faisons cet état des lieux pour limiter la propagation de ce phénomène. Prévenir ces cas de maltraitance c’est sanctionner les auteurs ce qui garantirait une confiance dans la justice sociale du pays.
Pour que nos plaies se referment, la mobilisation générale par la prise de conscience individuelle et collective est l’un des facteurs importants pour la remise en question du système social et politique Congolais. D’ores et déjà les stratégies y relatives s’imposent.
3. Les cicatrices sont plus douloreuses qeu les plaies
Ces violences laissent des traces traumatiques gravissimes de l’intérieur comme de l’extérieur des victimes. Le problème devient de plus en plus mental et nécessite un traitement à sa taille. Les violences sexuelles ont de graves conséquences à long terme. Certaines victimes écoutées ont fait allusion à la souffrance et au traumatisme qu’elles ont subis ; parfois, elles ont également signalé que d’autres membres de leur famille étaient profondément affectés par ce qui était arrivé mais qui le traduisaient en violence comme qui dirait un père qui n’a pas eu la possibilité de défendre son fils contre un lion et qui traduit son incapacité en colère contre son fils mort. Plusieurs victimes ont souffert de blessures aux organes génitaux, d’hémorragies qui ont duré plusieurs semaines, ou ont été confrontées à d’autres conséquences sur le plan médical. En dépit du risque d’infection par le VIH, les victimes avec lesquelles nous travaillons n’ont pas toutes passé un test de dépistage. Celles qui étaient mariées ont souvent été rejetées par leurs maris et souvent, elles ont quitté leurs maisons, perdant un revenu et la plupart de leurs biens. D’autres se sont retrouvées dans l’impossibilité de continuer à travailler comme avant en raison de leur mauvaise condition physique ou psychologique, et les enfants nés du viol qui restent une problématique sans solution car ils rappellent toujours le malheur qu’a connu la famille et la communauté le jour de leur conception.
Faisans allusions à toutes ces histoires écoutées et dont certaines ont été partagées dans cet article, nous prenons conscience de l’ampleur du dégât à la fois individuel et collectif. Pour certains cas, on pourrait même confirmer le « féminicide » et pour d’autres cas, ils ouvrent la voie à certains exception inimaginable où la victime, au masculin, devient le bourreau de ses proches. Imaginez-vous le drame ! Dans une culture où les hommes sont considérés fort, protecteur, valorisés et les voir devenir très vulnérables d’un coup. On est là en face d’une dénaturalisation à la fois de l’homme et de la femme qui dépasse l’intelligentsia humaine. Cette cruauté devait avoir une nouvelle qualification. Que des spécialistes dans ce domaine essayent de s’imaginer ce que cette bestialité pourrait signifier et lui coller un nom qui serait perçu comme un paradigme au vrai sens du terme.
Dans son livre Victime-Agresseur. Tome 1, Le traumatisme sexuel et ses devenirs 2001, Philippe Bessoles présente des cas cliniques différents et commente les conséquences psychiques, le vécu du corps et les troubles somatiques suite au viol. Il souligne que le viol est un meurtre qui laisse la victime vivante[12]. Il (le viol) assigne à la torture tel un matricule tatoué à l’avant-bras, à cette différence qu’il n’y a pas mieux que le sexe pour réduire l’Autre au simple commentaire de son esclavage. Le viol n’est pas un acte sexuel.
Au contraire, il signe l’impossible déploiement de la rencontre intime pour exacerber le sensible, la présence et la permanence de sa mise en scène génocidaire. Comme les rares rescapé(e)s des camps de la mort, la femme s’étonne elle-même d’être revenue vivante de l’holocauste du féminin pour nourrir remords et culpabilité. Bien des décennies après (soit au moins 25 ans chez nous : toute une génération sacrifiée mais qui combine nourrissons, ado, jeunes filles et femmes voire même les vieilles dames), elle décline le trauma et conjugue le pathos. Femme crucifiée, elle porte l’infamante blessure. Comme Philippe Bessoles, le viol est un meurtre qui se passe sans avoir lieu. L’enjeu du viol réside dans le démantèlement des enveloppements psychiques primaires, l’effondrement de la confiance basale et le déchirement de la trame représentative. Dans ces conditions déshumanisantes, les plaies ne peuvent guère se refermer ; bien au contraire, elles saignent à volonté.
En définitive, l’histoire de ces filles et femmes, de ces hommes du Sud-Kivu et de toutes les victimes de violences à caractère sexuel et sexiste connu et non connu dans le monde est franchement indicible. Elles sont des milliers qui frappent aux portes de nos consciences. C’est dans ce cadre que nous avons proposé quelques pistes de solution pour panser leurs plaies, elles ont besoin d’une réhabilitation ou d’une réinsertion à la fois familiale, communautaire social et économique pour ceux et celles qui en ont besoin. Une justice réparatrice est plus qu’indispensable. Elle nous paraît impérative car ce qui est arrivé à l’une ou l’autre victime pouvait aussi bien arriver à n’importe qui à l’en RDC comme ailleurs
4. Pansement efficies des cicatrices
Les femmes de la RDC et surtout celles habitant à l’Est du pays ont été et continuent à être considéré comme une autre zone des champs de bataille. En fait, leurs corps été devenus un terrain où certains belligérants ont manifesté leurs puissances. Les provinces du Kivu ont été des terrains macabres de ces violences. Plus de 200 000 viols ont été rapportés depuis le début de la guerre qui duré à peu près deux décennies[13]. Avec une société déchirée et divisée, les espoirs de la renaissance ont disparu.
Considérant qu’il n’y pas des plaies qui ne peuvent être guéris, nous proposons quelques pistes de solution aux femmes victimes et viols et autres violences en vue du pansement de leurs plaies et la guérison des cicatrices. Ces propositions sont basées sur nos observations personnelles et tiennent compte des besoins pressants des victimes. Entant nous-même victimes et comprenant le vrai problème des pansements des blessures, nous pensons que les solutions ne peuvent que prévenir de nous-même…
4.1. Une réinsertion à tout prix
Des cas des violences sexuelles et celles basées sur le genre exigent une réinsertion à tout prix. Jusqu’ici les différents mécanismes de réinsertion menés au plan local, national, régional ou international ont certes permis d’aller de l’avant symboliquement, mais des efforts doivent être consentis.
Réinsérer signifie insérer à nouveau, réintroduire ou réadapte. Fournir à (quelqu’un) les moyens de se réadapter à la vie sociale. De part cette définition, on ne peut réinsérer que quelque chose ou quelqu’un qui fut d’abord insérer. Un dilemme se pose à la réinsertion : Comment réinsérer une personne qui n’était pas d’abord insérée dans la population ? La majorité des femmes que nous écoutons dans les Maison de Conseil et les bureaux d’Écoute nous témoignent d’elles souffrent dans leurs vies ou dans leurs foyers. Au cours de leurs vies, ces femmes ont subi des violences scolaires, des violences familiales, ainsi que celles basées sur le genre ce qui nous fait penser à une exclusion. Il y a donc besoin de travailler sur la restauration de l’image de la femme dans sa communauté avant de parler de la Réinsertion.
Dans la société africaine et surtout dans nos cultures bantoues, la femme est une mère. Elle est mère de sa famille, mère de ses enfants, mère dans sa belle-famille, et mère de tous et de toutes. C’est elle qui est responsable de l’éducation de ses enfants, de la paix ou la quiétude au sein de son couple et, dans certains foyers, c’est bien elle la gestionnaire. Une fois en contact avec ses bourreaux, sa vie change automatiquement. Elle n’a plus confiance en elle-même, elle se considère comme un bon à rien, peu importe son âge, dans sa société, elle est rejetée. La première action à mener à ce niveau est d’abord d’ordre psychologique. Il faut restaurer l’image de la femme envers elle-même. Lui montrer que la violence qu’elle a subie est un accident de vie, qui peut être soigné et guéri. La victime doit tout d’abord se réconcilier avec elle-même. Aussi, elle doit réaliser qu’elle reste et demeure « femme » quelles que soient les circonstances.
La deuxième action est de promouvoir l’équilibre de genre après un cas de viol. Les travaux sur le genre soutiennent la démarche selon laquelle il n’y a pas d’essence de la féminité, mais un apprentissage tout au long de la vie des comportements socialement attendus d’une femme. Ce qui nous pousse à confirmer la phrase de Simone de Beauvoir disant qu’on ne nait pas femme mais on le devient. Ainsi, les différences entre homme et femme ne sont pas le produit d’un déterminisme biologique, mais bien d’une construction sociale.
Et donc la réinsertion des victimes de violences sexuelles nécessite une approche mettant en place des actions concrète tenant compte des problèmes sociaux et culturels des femmes avant et après les violences. Ce qui amènera les communautés à admettre sportivement que les femmes détiennent encore toutes leurs aptitudes, facultés ainsi que capacités physiques et intellectuelles, même après avoir connu viol bien qu’elle reste traumatisée. Parce que ce qui fait mal aux femmes victimes de violence c’est de voir que la communauté qui devrait les soutenir, les stigmatise. Voilà selon, ce que l’État ainsi que les organisations de défense des droits humains doivent faire pour entreprendre les activités de réinsertion.
4.2. Promouvoir la justice ‘’jusqu’au bout’’
Quel que soit l’endroit où l’on vit, l’indifférence tue les bonnes mœurs ; parfois elle est renforcée par le silence – relatif ou absolu – qui s’associe, le cas échéant, à notre trio sur les sortes retenues de l’indifférence : la suspicion, la complicité et la culpabilité. Le silence est comprimé dans ce trio.
Dans un projet financé par Missio Aachen que nous exécutions à la Commission Diocésaine Justice et Paix de Bukavu en tant que coordinatrice du programme Violences Sexuelles, il nous arrivait d’envoyer des cas en justice surtout lorsque la victime connaissait son bourreau. Et parfois nous entendions des avocats dire que le fait pour le tribunal de prononcer un jugement contre un cas de viol ne garantit pas nécessairement l’application de la sanction à l’égard des responsables du crime. La mise en œuvre de la sanction demeure hypothétique et l’indemnisation des victimes plus encore. Quand les personnes qui sont censés protéger les victimes eux-mêmes ne sont pas convaincu que la justice ira jusqu’au bout, comment pouvons encourager ces mêmes victimes à aller en justice ?
C’est pourquoi, nous remarquons que certains persécuteurs d’hier sont récompensés par le pays en les laissant libre. Il va sans dire que les abuseurs sexuels jouissent parfois d’un traitement léger ou, pour tout le moins, d’un laisser-aller inimaginable. Certains seigneurs de guerre ont bénéficié d’une protection qui n’en est pas une par le fait d’un consensus autour d’un quelconque cessez-le-feu ou au cours d’un désarmement négocié. Ils sont nombreux à en avoir bénéficié ; la jouissance en tout : ils ont même été primés et ont intégré les forces dites « loyalistes », le Force Armée de la RDC (FARDC) et dans la police congolaise voir même certains au gouvernement. Certains d’autres ont été démobilisés : ils seraient devenus Opérateurs politiques, économiques et affairistes ou tout simplement des hommes libres.
Depuis la résurgence des violences sexuelles il est inquiétant de n’observer presque aucun cas de la rétroaction des crimes odieux contre les victimes. En visitant les prisons de la RDC, nous n’y trouvons pas vraiment le même nombre de bourreaux comparativement aux cas des violences enregistrés. Où sont les bourreaux de ces violences ? Qui sont-ils réellement ? Peut-on évoquer une complicité implicite (tacite) ? Quid des cas des victimes abandonnées à elles-mêmes ?
Voilà les questions que nous nous posons. Certaines victimes témoignent que les persécuteurs du passé sont habillés en leurs protecteurs et se retrouvent dans les instances de prise de décisions. Ont-ils été récompensés pour les avoir violées ?
Cette indifférence humaine ou l’insouciance constitue la base même de l’absence de réparation des préjudices causés à l’égard des femmes. L’indifférence est cette constance qui engloutit la dignité humaine. « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons ». De M. Martin Luther King, Homme politique, Pasteur, Religieux (1929-1968). Et donc pour que les victimes soient complétement guéri il est indispensable de décourage l’impunité.
4.3. Libérer la parole pour bien guérir les douloureuses cicatrices
Les hommes, les femmes, les garçons et les filles doivent libérer la parole et dénoncer les sévices dont ils sont victimes en vue de tenter de briser le tabou et la peur qui va avec. C’est dans ces conditions que la douleur des cicatrices sera allégée.
Même si les violences sexuelles diminuaient, la gestion de leurs conséquences sur les individus et les communautés prendra encore plus longtemps et exigera une certaine spécialité. La réparation est encore un problème majeur. Contrairement au Rwanda, il existe très peu de psychologues cliniciens en RD Congo, et spécialement à l’Est. Il faudrait donc songer à un programme spécifique pour la réparation des conséquences de ces guerres et remettre les victimes dans leurs droits. C’est l’une des façons de les sortir de leur stigmatisation.
Les familles ne parlent pas des questions qui divisent. Par exemple, les cas des enfants nés de ces viols et qui ne sont pas souvent acceptés par les maris de leurs mères. Sont des cas qui devraient être discuté publiquement, en famille aussi. Parce que ne pas en parler conduit souvent à la dislocation d’un bon nombre de ménages et surtout que bon nombre des ménages sont brisés à cause de la violence sexuelles restées cachées. Celle-ci revêt plusieurs formes : la violence domestique où le mari fait de sa femme un objet ou l’inverse ; les violences sexuelles subies par la femme mariée et qui voit ses relations conjugales limitées ou alors qui se trouve être chassée par son époux …, les femmes qui sont abusées par les leaders religieux et qui ont peur d’en parler à leurs maris…
Les agressions physiques dans le couple n’arrivent pas soudainement. Bien avant les bousculades et les coups, il y a une escalade de comportements abusifs et d’intimidations. La pire violence n’est pas la plus visible. Si les femmes ne partent pas, c’est qu’elles ont été piégées, mises sous emprise. Comprendre l’emprise, c’est aussi s’en déprendre.
C’est aberrant de constater que la plupart des femmes attendent que le pire leur arrive pour commencer à demander de l’aide. Chez nous, c’est souvent ce qui arrive lorsque les femmes ne saisissent pas la moindre occasion de jouer à l’offensive, préfèrent à tort et à travers, garder silence. Entre temps, le malin développe les mécanismes de vengeance pour pouvoir s’en débarrasser. Les violences domestiques se situent dans cette échelle infranchissable. L’agresseur mène patiemment son œuvre paralysante et meurtrière. Sa victime se laisse peu à peu enfermer dans le piège prévu pour son supplice.
Les femmes ayant subi le viol tout en étant mariées sont souvent la cible potentielle de leurs proches qui sont convaincus du déshonneur apporté à toute la famille et qui en même temps profite de cette vulnérabilité pour abuser d’elles. Certains hommes commettent à leur tour des crimes sous couvert des us et coutumes ou d’autres pratiques malveillantes, et voir même d’autre qui justifie la violence en se référant aux textes Biblique ou à d’autres textes religieux, selon leur foi.
C’est dans une attitude de tabous, disent-ils, qu’il est possible de recourir à ces pratiques dégradantes contre les femmes. Or, ce n’est pas le fait de s’en prendre à elles qu’on serait emmenés à résoudre ce problème. Ils sont aussi en milieux ruraux, avec une forte dose de barbarie surtout quand ils sont mêlés à des forces et groupes armés (…). Des jeunes actuellement s’offrent à la délinquance et prennent beaucoup de drogue, sont parfois enrôlés dans ces milices et bandes pour perpétrer ces viols. Ils deviennent plus que jamais dangereux.
4.4. Rassurez les victimes que tout n’est pas perdu, tout peut se reconstruire ! Il y a de l’espoir …
« Nous ne sommes pas responsables des blessures que nous subissons. En ce sens, nous sommes des victimes. Cependant, nous sommes responsables de la façon dont nous allons les gérer. Malheureusement, la plupart du temps, nous sommes ignorants.es de ce qu’il faut faire ou ne pas faire»
Dans la perspective d’intégration des femmes victimes de viol, nous sommes convaincus que les victimes peuvent refaire leurs vies. Il y a encore de l’espoir ; il y a lieu d’espérer. C’est possible d’avoir une meilleure vie que la précédente. Même quand il n’y a plus d’espérance, les victimes peuvent espérer. Les craintes et les espérances sont souvent alimentées par les circonstances.
Or, les circonstances sont souvent passagères. Le malheur d’aujourd’hui ne sera pas nécessairement le malheur de demain. Une situation malheureuse peut se transformer en une meilleure, surtout quand on décide de sortir de sa vulnérabilité.
Il faut donc espérer contre toute espérance. Au-delà des efforts consentis sur les plans local, national, régional et même international pour panser les plaies des victimes de viol, ces victimes elles-mêmes, doivent comprendre qu’elles peuvent encore espérer. Si la société ne leur accorde pas de garanties suffisantes pour leur espérance, le Dieu qui les a créées est disponible pour eux. Il aime tout le monde, il protège tout le monde et est capable d’aider une victime à se relever. Ces femmes peuvent croire à leur lendemain, car il y a de l’espoir pour ceux qui vivent. La Bible soutient encore qu’un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort.
Même lorsque la société ne donnerait pas espoir à ces délaissés pour compte ; si même les organisations humanitaires ne parviennent pas à satisfaire à leurs revendications ; ces femmes peuvent se confier à Dieu et à sa parole. La parole de Dieu est l’ingrédient le plus excellent pour l’espérance d’une personne désespérée. Elle contient des exemples des femmes et des hommes qui ont connu des problèmes semblables et même des problèmes plus délicats, mais ils se sont relevés par la grâce de Dieu. Et par la foi et l’expérience, nous avions appris à laisser et déposer tous nos fagots, à celui qui est plus fort que nous. Lui qui est Maître des temps et de circonstances ; qui transforment nos malheurs en bonheurs, et nos douleurs et joies. Il faut le vivre pour savoir le témoigner.
L’Evangile selon Saint Jean relate une histoire presque similaire, mais qui a trouvé une solution par la grâce de Dieu. Jean 8 : 3-11(Bible Louis Second) : « Jésus lui dit : Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a-t-il condamnée ? Elle répondit : Non, Seigneur. Et Jésus lui dit : Je ne te condamne pas non plus : vas, et ne pèche plus ».
La pauvre femme, était déjà prête à être condamné, mais son Sauveur Jésus a transformé sa douleur en joie, elle qui devrait mourir, vient d’être sauvé. Quelle surprise ? Cette loi qui condamnait cette femme était comme ‘’ une culture’’ du peuple juif. Dans cette culture, les droits de la femme étaient limités. ce que la société n’a pas pu donner à cette femme, Jésus le lui a donné : la dignité, la vie sauve.
Cette femme contre toute espérance a été sauvé. Cette parole de Dieu est disponible pour toutes les femmes qui sont rejetées. Elles peuvent espérer à une vie meilleure, elles peuvent reprendre leurs activités quotidiennes normalement, elles peuvent encore avoir un bon foyer. Car Dieu a la capacité de bâtir sur d’anciennes ruines.
Si son espérance est restaurée, la femme victime de viol peut arriver à refaire sa vie. Refaire sa vie ici ne signifie se remettre sur les rails, et avancer dans le domaine de son activité. Selon la Théorie des limites, il y a des situations qu’on ne peut pas contrôler avec notre condition humaine, mais il faut juste accepter et coopérer pour que Le plus Fort, le plus Puissant décide. Il suffit d’avoir une réconciliation avec Dieu, et avec soi-même. Le fait d’être victime d’un crime de viol ne signifie pas que Dieu ne nous aime pas. Un encadrement spirituel par une équipe des serviteurs ou des laïcs engagés en vue que les plaies de ces cœurs soient pansées.
4.5. La réconciliation avec soi-même…
Pour refaire la vie, les victimes des violences de tout genre doivent aussi se réconcilier avec soi-même en prenant une attitude qui consiste à s’accepter soi-même, à accepter l’histoire de sa vie, qui est une expérience dans laquelle on peut exploiter le bon côté des choses. En effet, dans toute situation de la vie, si négative qu’elle soit, il y a toujours le bon côté que l’on peut exploiter. Lorsqu’une porte se ferme devant de toi, une autre est susceptible de s’ouvrir autour de toi. Quelle que soit son histoire, personne n’est destiné à être malheureux au sein de la société, car Dieu est amour. Lorsque la victime parvient à se réconcilier avec soi-même, certainement elle relèvera la tête. Il faut donc être capable de pardonner ceux qui nous ont fait du mal. Pardonner ses bourreaux et prier pour eux ; est une guérison progressive, c’est un pansement fort de nos plaies.
Les victimes ou survivants.es des violences basées sur le genre ainsi que les violences sexuelles ne sont pas – forcément – responsables des blessures que qu’elles subissent, mais elles sont responsables de la façon dont elles les gèrent. Malheureusement, la plupart du temps, elles restent ignorants.es de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. De ce fait, pour se défendre, très rapidement et sans même y penser (le processus est inconscient), elles ne prennent pas les bons chemins intérieurs pour guérir les blessures intérieures. A la place, elles s’édifient des des faux raisonnements, des pensées négatives qui vont s’installer et les détruire complètement voir conduire au suicide.
4.6. Nous sommes tous et toutes frères et sœurs en Jésus Christ.
« Je remercie beaucoup Centre Olame de m’avoir sauvé la vie après que toute la communauté m’est accusée de sorcière. J’avais déjà perdu tout mon espoir suite à la violence que certains membres de ma communauté m’ont fait subir. J’ai été encadrée, écoutée et les Centre Olame a envoyé des avocats pour m’assisté alors que j’étais veuve sans moyen de payer des frais en justice »
Ces femmes, ces filles, ces hommes violés ont gravement besoin de la charité de toute l’humanité pour survivre. Nous reconnaissons qu’un effort suffisant est fait par endroit sur le plan médical pour guérir les blessures physiques, le corps, (même s’il reste de généraliser ce service pour ne pas trop déplacer les victimes loin de leurs milieux habituels). Mais ici nous parlons plus des soins que peuvent apporter la chaleur humaine, la charité, la compassion de l’autre pour guérir de l’âme et de l’Esprit.
De prime abord, il sied de noter que pour guérir les blessures – quelle que soit leur nature – nous avons besoin des autres. La résilience (capacité à guérir) n’est possible que dans l’amour. L’épreuve peut être aussi l’occasion de découvrir Dieu et Son amour guérissant à travers ses semblables. Nous savons pertinemment bien qu’il est aisé d’évoquer le slogan du genre « guérison intérieure » lorsqu’on n’est pas directement victime d’actes barbares comme ceux touchant nombreuses femmes et leurs familles. Ici, ce n’est pas le sentiment qui parle ; c’est plutôt la raison. A travers les histoires entendus dans les bureaux d’écoute et nos visites à domicile pour réconforter les survivants et survivantes des violences ; nous sommes témoins oculaires de ces actes ignobles dont les femmes souffrent dans leur être, dans leur chair. Et nous voyons leurs cicatrices qui deviennent de plus en plus douloureuses parce qu’elles sont abandonnées.
Il nous appartient de prendre les bons chemins de pensée pour relever elles autres afin de les aider guérir leurs blessures. Avoir des gens qui nous aiment et qui nous écoutent est une chance incroyable car c’est l’amour qui guérit les blessures intérieures.
4.7. Plaidoyer pour la cicatrisation des plaies des femmes violées aux Nord et Sud-Kivu
La destinée tragique des femmes violées ne peut guère passer inaperçue dans un Etat qui se veut unitaire et solidaire. Il y en a qui, chez nous, ne réalisent pas la gravité de ce qui se passe depuis des décennies.
Sans chercher à nous attribuer les mérites que nous n’avons pas, les mérites reviendraient à toutes ces victimes dont nous plaidons la cause. On devrait voir ce qu’il en serait de ce projet. Construire une sépulture – en quelque sorte – digne qui y serait inscrit les noms des disparues des violences en temps des guerres ou des conflits armés. Une empreinte de ce genre serait professée et collée sur ce lieu symbolique : « Chaque disparu (e) est un martyre pour la république ; une mémoire pour la patrie, une semence pour la nation ». Ce Mémorial est plus qu’indispensable !
L’initiation des Centres d’écoute pour tous les abus contre les femmes. Leur porter secours est une urgence pour la prévention de tout trouble à l’ordre public. Outre les viols collectifs souvent perpétrés par des inciviques en milieux ruraux, les violences à caractère sexiste se commettent chaque jour en milieux urbains. Leur traitement au cas par cas, sans aucune dose de chantage ou de vengeance comme on le voit parfois, constitue de près ou de loin une étape majeure vers le respect mutuel.
Éviter la tendance à banaliser les faits. Cette minimisation consiste, le plus souvent, à présenter la question avec un œil clignotant sans réellement chercher à y voir clair. C’est pourquoi on entend des propos venimeux et dédaigneux du genre : « seulement une, deux ou dix victimes ; il n’y a pas eu assez de morts comparativement à ce que les gens racontent çà et là ; etc. ». On ne veut pas comprendre qu’un cas de viol ou de crime qui s’y rapporte, est un cas de trop. Or c’est là tout le drame ; le début même des atrocités et leur persistance dont la chute est l’impunité tant décriée et l’encouragement au mal.
La justice internationale essaye, quand elle le peut, de réprimer les faits liés à ces crimes de masse. Peut-être par stratégie de diversion, ses saisines et arrêts déjà rendus jusque-là donnent l’impression que la Cour Pénale Internationale serait plus politique que judiciaire (…). Des procès symboliques s’organisent tout de même dans le but de décourager les seigneurs de guerre qui s’adonnent à ces pratiques que nous avons qualifiées de « déshumanisantes ». En interne en revanche, la situation post-violence renvoie automatiquement au traumatisme. Le fait que les bourreaux soient encadrés et sécurisés renforce le lien devenu indissoluble entre les psychopathologies traumatiques d’une part et la douleur des cicatrices d’autre part. Les auteurs, co-auteurs ou complices à plusieurs niveaux de responsabilité ne sont jamais inquiétés : certains États, Organisations internationales, Multinationales, ONG ne sont pas du tout épargnés par ce fléau ravageur. Il suffit de lire des rapports pour s’en rendre compte (…). La CPI a montré ses limites dans la recherche des cas et la poursuite des hors-la-loi afin qu’ils répondent de leurs actes. Pourtant c’est un processus de cicatrisation des plaies des victimes…
Il n’est un secret pour personne que la République Démocratique du Congo est un scandale géologique à tout point de vues. D’aucuns se demandent pourquoi ce pays-continent est paradoxalement classé parmi les pays les plus pauvres de la planète. L’une des raisons de ce paradoxe est sans doute justifiée par la crise (l’instabilité) à la fois politique, institutionnelle et territoriale. Ladite crise (instabilité) n’a pas manqué d’embraser tous les circuits socio-économico-financiers avec comme conséquences néfastes visibles sur les échanges commerciaux internes, régionaux et internationaux.
Les rares cas de ceux qui répondent de leurs actes sont condamnés mais n’ont jamais réparé les préjudices qu’ils ont fait subir à toutes ces filles et femmes voire par moment ces hommes qu’ils ont pris en otage. Tout porte à croire que le chemin à parcourir est parsemé d’embuches et nécessite des travaux de balisage imposants. Il est aisé de constater la répression contre un individu qui a commis ou tenté de commette un viol contre une fille (une femme) mais ceux qui commettent des violences de masse sont en liberté. C’est déplorable !
Punir avec la dernière énergie ceux qui abusent de la dignité humaine en général et féminine en particulier. Les abuseurs sexuels méritent une punition exemplaire afin de prévenir tout acte qui freinerait l’envol de la communauté. Plus jamais l’impunité, abat la violence ; la réparation des préjudices doit être suivie de près par tous (toutes). C’est dans ces conditions que les plaies des victimes seraient cicatrisées et les douleurs allégées. Enfin, pour éviter le syndrome de Lazare, synonyme du traumatisme psychique, le corps ne devra rien oublier pour se guérir de ce traumatisme et ainsi espérer atteindre la résilience (…)
5. Conclusion
Les violences sexuelles et leurs causes ne sont donc pas une fatalité (c’est une question socio-sociétale au vrai sens du terme). C’est pourquoi il est important d’identifier les éléments culturels qui servent de justifications et de terreau à ces actes afin de proposer des pistes qui permettront d’y mettre fin.
En communion avec toutes les familles dont les cœurs ont été (ou sont encore) brisés par ces violences, il est grand temps de leur rendre des hommages dignes et mérités en reconnaissant notamment la gravité des crimes dont ils ont été (ou sont encore) victimes.
Nous sommes tous redevables vis-à-vis de ces femmes, de leurs familles et de leurs proches et nous devons tous nous approprier ce combat. Nous devons reconnaître les souffrances des survivantes de toutes les violences faites aux femmes dans les conflits armés et les soutenir de façon holistique dans leur processus de guérison. C’est la seule façon de leur donner compensation et satisfaction par rapport aux préjudices subies pour leur permettre de recommencer une nouvelle vie. C’est notre conception de la résilience.
Les cicatrices restent douloureuses que les plaies. Difficile d’oublier qu’il y a eu des fosses communes dans la ville, que les femmes ont été enterrées, difficile d’oublier que les maladies sexuellement transmissibles ont été transmises aux femmes, aux jeunes filles et aux bébés. Difficile de continuer à regarder ce cycle de violence sans rien faire. Que cet article ne puisse s’ajouter à de milliers d’autres qui ont été partagé sans aucun aboutissement, mais qu’il donne des fruits afin d’anéantir les grands méchants de l’histoire qui sont encore et « toujours » protégés par les grands décideurs du monde …
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Thérèse M. Mapenzi est la directrice du Centre Olame à Bukavu, en République démocratique du Congo. Le Centre Olame est une institution de Caritas dans l’archidiocèse de Bukavu. Le centre promeut le développement socio-économique des femmes et de leurs familles et soutient les victimes de la violence sexospécifique.
Thérèse M. Mapenzi est titulaire d’un master en recherche sur la paix (Coventry University, Grande-Bretagne) et de spécialisations en transformation des conflits (Akademie für Konflikttransformation, Cologne), en traitement des traumatismes (Kigali) et en études de genre (Folke Bernadotte Academy, Suède). Pour son engagement de longue date, Thérèse M. Mapenzi a reçu plusieurs prix, notamment le prix pour la paix et la réconciliation (Coventry/Grande-Bretagne) et le prix Shalom (Eichstätt).
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Thérèse M. Mapenzi est la directrice du Centre Olame à Bukavu, en République démocratique du Congo. Le Centre Olame est une institution de Caritas dans l’archidiocèse de Bukavu. Le centre promeut le développement socio-économique des femmes et de leurs familles et soutient les victimes de la violence sexospécifique.
Thérèse M. Mapenzi est titulaire d’un master en recherche sur la paix (Coventry University, Grande-Bretagne) et de spécialisations en transformation des conflits (Akademie für Konflikttransformation, Cologne), en traitement des traumatismes (Kigali) et en études de genre (Folke Bernadotte Academy, Suède). Pour son engagement de longue date, Thérèse M. Mapenzi a reçu plusieurs prix, notamment le prix pour la paix et la réconciliation (Coventry/Grande-Bretagne) et le prix Shalom (Eichstätt).
[1] Cf. : Violence Contre la femme. Manuel pour l’animation, Eastern and Central Africa Women in Developpement Network, Paulines 2001.
[2] Cf : Human Rights Watch, Les soldats violent, les commandants ferment les yeux. Violences sexuelles et réforme militaire en République démocratique du Congo, 2009.
[3] Cf. : Adelard Bashimbe M.-B., Denis Mukwege, Homme social ou politique? Entre ambivalences, nuances et équivalences, Edilivre, Saint-Denis 2017.
[4] Le vrai nom est caché par protection de l’Éthique.
[5] Le vrai nom est caché par protection de l’Éthique.
[6] Le vrai nom est caché par protection de l’Éthique.
[7] Le vrai nom est caché par protection de l’Éthique.
[8] Le vrai nom est caché par protection de l’Éthique.
[9] Colette Braeckman, L’Homme qui répare les femmes. Violences sexuelles au Congo. Le combat de Denis Mukwege, Grip, Bruxelles, 2012.
[10] Cf. : Marie France Hirigoyen, Abus de faiblesse et autres manipulations, Le Livre de Poche, 2013.
[11] Robert Cario, Enfant exposé aux violences familiales: vers un statut spécifique ? Editions L‘Harmattan, Paris, 2012; Alain Bernard/Robert Cario (Dir.), Les politiques publiques interministérielles d’aide aux victimes, Editions L‘Harmattan, Paris, 2001; Robert Cario/Benjamin Sayous (Dir.), Tabous et réalités du crime au féminin, Editions L‘Harmattan, Controverses, Paris, 2010; OCDE, États de fragilité (2018), Editions OCDE, Paris, 2018.
[12] Philippe Bessoles, Victime-Agresseur. Tome 1, Le traumatisme sexuel et ses devenirs 2001 ‘Page 63 à72
[13] Cf. : Braeckman, L’Homme qui répare les femmes.